lundi 12 janvier 2015

Au milieu de l'océan de l'encre

Les Propos sur la peinture
du moine Citrouille-amère




          Shitao est un artiste peintre et calligraphe de la dynastie Qing né en 1642 et mort en 1707. Son célèbre traité sur la peinture traduit en Français aux Editions Hermann sous le titre "Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère", l'un de ses nombreux surnoms, va bien au-delà de simples propos sur l'art. Les thèmes qui y sont abordés dépassent le cadre géographique et les limites de la peinture chinoise du 17ème siècle.

          En voici quelques extraits:    



Propos sur la réceptivité:
          "En ce qui concerne la réceptivité et la connaissance, c'est la réceptivité qui précède, et la connaissance qui suit."

          "La peinture résulte de la réception de l'encre; l'encre, de la réception du pinceau; le pinceau, de la réception de la main; la main, de la réception de l'esprit: tout comme dans le processus qui fait que le Ciel engendre ce que la Terre ensuite accomplit, ainsi tout est fruit d'une réception".


Propos sur l'imitation des anciens:
          "Il a été dit que l'homme parfait est sans règles, ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas de règle, mais que sa règle est celle de l'absence de règles, ce qui constitue la règle suprême."

          "Quant à moi, j'existe par moi-même et pour moi-même. Les barbes et les sourcils des Anciens ne peuvent pas pousser sur ma figure ..."

          "La Nature m'a tout donné; alors, quand j'étudie les Anciens, pourquoi ne pourrais-je pas les transformer ?"

          "Et s'il arrive que mon oeuvre se rencontre avec celle de tel autre maître, c'est lui qui me suit et non moi qui l'ai cherché."


Propos sur la peinture:
          "Il ne faut pas peindre de manière mécanique; il faut éviter la raideur et la mollesse, il ne faut pas être pesant ni maladroit, il faut se garder des liaisons indues, ne pas disloquer les éléments de la composition, ni perdre la cohérence fondamentale de l'ensemble."

          "Au milieu de l'océan de l'encre, il faut établir fermement l'esprit."

          "Mais ensuite, au moment de manier l'encre et le pinceau, il ne faut plus s'accrocher aux catégories préconçues de montagnes et de rides: le premier coup de pinceau attaque le papier et tous les autres le suivent d'eux-mêmes. Du moment que l'on a saisi l'unique principe, la multitude des principes particuliers se déduira d'elle-même."


Propos sur l'art et son apprentissage:
          "Qu'il s'agisse des monts et des océans, on en revient toujours au premier schéma d'une bosse ou d'une fosse dont ils ne sont que le développement; qu'il s'agisse de n'importe quelle forme plastique, elle se ramène toujours aux principes élémentaires qui sont inclus dans les divers types de lignes et de rides."

Propos sur le paysage:
          "L'altier et le lumineux sont la mesure du Ciel, l'étendu et le profond sont la mesure de la Terre.
          Le Ciel enlace le Paysage au moyen des vents et des nuages.
          La Terre anime le Paysage au moyen des rivières et des rochers.
          Si l'on ne se réfère pas à cette mesure fondamentale du Ciel et de la Terre, on ne pourra rendre compte de toutes les métamorphoses imprévisibles du Paysage."



Propos sur la Mer et la Montagne:
          "La Mer possède le déferlement immense, la Montagne possède le recel latent.
          La Mer engloutit et vomit, la Montagne se prosterne et s'incline."

          "La Montagne, avec la superposition de ses cimes, la succession de ses falaises, avec ses vallées secrètes et ses précipices profonds, ses pics élevés qui pointent brusquement, ses vapeurs, ses brumes et ses rosées, ses fumées et ses nuages, fait penser aux déferlements, aux engloutissements et aux rejaillissements de la mer; mais tout cela n'est pas l'âme que manifeste la Mer elle-même : ce sont seulement celles des qualités de la Mer que la Montagne s'approprie.
          La Mer, elle aussi, peut s'approprier le caractère de la Montagne : l'immensité de la Mer, ses profondeurs, son rire sauvage, ses mirages, ses baleines qui bondissent et ses dragons qui se dressent, ses marées en vagues successives comme des cimes : voilà tout ce par quoi la Mer s'approprie les qualités de la Montagne, et non la Montagne celles de la Mer."



Toutes les illustrations de ces propos sont des peintures de Shitao.