Dans "Fictions philosophiques du Tchouang Tseu" (éditions Gallimard), Romain Graziani tente d'expliquer le fameux concept du "non-agir" cher aux Taoïstes en distinguant action et activité.
Illustrations: Hergé, Tintin au Tibet et le Lotus bleu
Le "non-agir", tout un programme !
Leçon 1 :
Tu n'agiras point à dessein.
Leçon 2 :
Ni succès, ni échec
ni gloire, ni regret.
Leçon 3 :
Tu ne feras pas de plans sur la comète.
Citons Graziani :
"Comment abdiquer toute prétention à régir le devenir ? Tchouang-tseu se contente d'offrir une simple description du mode optimal de fonctionnement des processus vitaux, quand la sensibilité "humaine" ne l'entrave pas. Peut-on pour autant parvenir à ne pas faire de plans sans pour autant renoncer à agir ? "L'Homme authentique" de Tchouang-tseu n'est pas un homme d'action, parce qu'il ne programme rien.
Mais il est, comme tant d'autres figures auxquelles il prête vie, un homme d'activité. L'activité est libre invention de son parcours, ouverture aux occasions ; elle favorise l'idée adventice, le geste à propos, son discernement n'opère que dans les circonstances concrètes, et elle ne calcule pas le temps qu'elle emploie. Elle engage (...) une confrontation dynamique avec le réel, à quoi s'oppose, dans le régime de l'action, la réduction du réel à des représentations épurées, soumises à la logique des projections intentionnelles.
L'activité est une façon de répondre, de s'adapter, de se mouvoir, qui s'intensifie à mesure que se résorbe la conscience du moi. L'activité est le processus qui peut ressourcer activement le principe vital. L'action relève, elle, de la gestion courante du moi. Quand un artiste fait la promotion de son oeuvre, il est dans l'action. Quand il compose un air, il est dans l'activité. Ce sont là deux régimes de fonctionnement, dans lesquels agissent au premier chef tantôt le "moi" tantôt le "corps", tantôt la conscience, tantôt l'oubli de soi.
Et pour l'homme authentique pour qui ces deux modes unitaires cessent d'entrer en conflit, et se nourrissent l'un l'autre, cela est tout un.
Tchouang-tseu mentionne encore que les hommes authentiques, quand ils ratent quelque chose, ne le regrettent pas, et suggère que le regret est lié à l'insatisfaction d'avoir laissé échapper quelque chose (...) Parmi les conséquences recherchées de nos actions, une grande partie échappe au vouloir, échappe aux mains qui veulent s'en saisir (...), parce que pour Tchouang-tseu toutes les bonnes choses de la vie ne peuvent nécessairement advenir qu'en l'absence de calcul délibéré. Le leurre moral pour Tchouang-tseu consiste à penser que, parce que nous avons réussi quelque chose que nous voulions, c'est notre volonté qui l'a accompli. De là naissent les idées de mérite et de regret, de succès ou d'échec."
Photos et haïku, Hervé Colard