Quelque part en Turquie, quelque part au monde, peu importe le lieu, peu importe le temps, Nicolas Bouvier écrit ces instants de félicité, ces "éclairs de perfection" qui alimentent notre existence:
"Adossé contre une colline, on regarde les étoiles, les mouvements vagues de la terre qui s'en va vers le Caucase, les yeux phosphorescents des renards. Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l'aube se lève, s'étend, les cailles et les perdrix s'en mêlent... et on s'empresse de couler cet instant souverain comme un corps mort au fond de sa mémoire, où on ira le rechercher un jour. On s'étire, on fait quelques pas, pesant moins d'un kilo, et le mot "bonheur" paraît bien maigre et particulier pour décrire ce qui vous arrive."
L'Usage du monde (Ed. Payot)
"Ces éclairs de perfection, de fusion, de félicité totale, nous ne pouvons les vivre qu'en courant alternatif, alors que la Création, malgré son absurdité démente et sa férocité, en offre des exemples en courant continu. Et c'est heureux: trop de bonheur viendrait à bout de notre fragile organisme; nous serions brûlés comme phalènes au feu; il ne nous est donc accordé qu'en doses parcimonieuses, à la mesure de notre coeur fragile."
L'Echapée belle
Photos et haïku, Hervé Colard