Minuit passé
la Voie lactée s'incline
sur un bambou Shiki
Pris au mot à mot un haïku peut ressembler à une description ou à un titre de tableau comme le remarque Terada ("l'Esprit du haïku"). Dans le haïku ci-dessus on a: l'heure, "minuit passé", puis à l'arrière plan du tableau le ciel et la Voie lactée, enfin, au premier plan, un bambou.
Et pourtant on a conscience en les lisant que ces quelques mots vont au delà d'une description prosaïque et relèvent plus de la sensation ou d'une "vision sans commentaire" comme le note R. Barthes dans l'Empire des signes.
Le haïku serait donc plus proche d'une image, au delà des mots, plus proche d'un tableau lui même que du titre d'un tableau. Mais alors d'un tableau fait de quelques taches et quelques traits jetés sur une feuille blanche.
"Minuit passé"; l'auteur s'est couché tard, on est déjà le jour d'après, la Voie lactée, le grand "Fleuve céleste", est penchée sur l'horizon comme si elle s'inclinait, se prosternait de toute sa grandeur sur un bambou. Non pas une forêt de bambous mais un simple bambou, Shiki sans doute. Comme souvent dans les haïku l'infiniment grand côtoie l'infiniment petit, le proche le lointain.
Peut-être y contribuent-ils, et pourtant un haïku n'est rien d'autre qu'un événement, une vision au sens large du terme c'est-à-dire saisi par les sens. Dans son écriture il n'y a pas d'éloquence, ni de lyrisme, encore moins d'emphase, rien que des faits; le haïku est la transcription d'un événement.
En est-il objectif pour autant? Entre les mots du haïku se lit une série d'allusions à un "je" qui communie avec la nature, et même qui ne fait qu'un avec la nature. Est-ce le ciel qui se prosterne ou l'auteur du haïku? Et ce bambou solitaire se dressant face au cosmos est-ce Shiki encore? Sôseki, son disciple et ami, lui répond :
L'ami s'en est allé
en rêve
la Voie lactée
Pour compléter "Qu'est-ce qu'un haïku?" lire aussi :